(suite et fin de
l´article du 24 décembre 2014)
Le philosophe
préconisera un nouveau système politique, la république, qui remplacera la
monarchie. Puisque traditionnellement la religion se charge de prescrire les
normes de conduite, elle devra être
la première cible des
Français. Leur tâche étant de mettre à terre un à un tous les
dogmes
jusqu´alors
respectés ; tous les enseignements absurdes, mensongers et sophistiques des
prêtres devront disparaître sans même laisser de traces :
« ...déracinez tout à fait une plante dont les effets sont contagieux »,
p. 189.
Car si l´on admet la moindre tolérance à l´égard de la religion (Sade se réfère
à tous les cultes déistes, mais surtout au catholicisme, religion officielle de
l´Ancien Régime) non seulement l´on risque de la voir renaître avec encore plus
de force, mais ses défenseurs lutteront aussi contre les idéaux de la
république. D´où la nécessité de se délivrer à la fois du « sceptre »
et de « l´encensoir ». Une fois , donc, supprimés tous les
préjugés, il restera aux Français la mission de changer radicalement les
moeurs. Il ne s´agit pas seulement d´une réforme, mais d´une vraie
révolution : « vous qui avez la faux à la main, portez le dernier
coup à l´arbre de la superstition ».
Aucune loi ne devrait nous contraindre de jouir d´une liberté sans
bornes. Il n´y aura plus de place à l´obéissance aveugle. Si
l´on doit se soumettre à une loi, ce sera celle de la nature. Ainsi, tous
nos besoins, nos désirs les plus cachés se manifesteront.
Il va de soi que dans un système semblable, tout ce qui auparavant était
considéré comme délit sera jugé autrement.
La calomnie, le vol, l´impureté et le meurtre seront non seulement admis
mais ne devront plus inquiéter le législateur, car celui-ci « ne doit
jamais étudier l´effet du délit qui ne frappe qu´individuellement ;
c´est son effet en masse qu´il doit examiner. » Sade fait
l´apologie de ces actes en se servant des exemples de l´Antiquité
gréco-romaine. On remaquera, par ailleurs, que Sade insiste sur l´aspect rationnel
de ces affirmations, conçues sous le « flambleau de la
philosophie ». Lycurgue et Sénèque sont souvent appelés pour appuyer ses
arguments. En imaginant les éventuelles critiques à son système, il essaye de
les réfuter par avance afin de nous convaincre de sa légimité. Nous
verrons que l´exposition de certaines idées peut nous paraître
convainquante. Prenons par exemple son opinion sur le vol :
« j´oserai demander si le vol dont l´effet est d´égaliser les richesses,
est un grand mal dans un gouvernement dont le but est l´égalité ». Cette
assertion nous frappe, certes, par sa hardiesse, pourtant, si l´on veut
vraiment rendre la société moins inégale suivant les principes républicains les
plus élémentaires ne serait-il pas juste de mettre en échec la
question de la propriété ?
L´idéal sadien, ce sont des citoyens autosuffisants, libres de donner libre
cours à toutes leurs passions : « ...tous les hommes sont nés
libres, tous sont égaux en droit » Ibid., p. 225. À cet égard, sa
théorie présente des contradictions car on y verra une impasse en ce qui
concerne la liberté pour tous et l´égalité.
La volonté d´un homme se heurtera toujours à celle d´un autre. On verra une
lutte entre des faibles et des forts se dérouler sur tous les plans
y compris le plan sexuel. Les délits dits moraux tels la prostitution,
l´adultère, l´inceste, le viol et la sodomie n´auront plus le statut de crime.
Dans ce domaine le despotisme de l´homme atteint son comble. Rappelons des réflexions clés du pamphlet lu par
Dolmancé : « Toutes les fois que vous ne donnerez pas à l´homme le
moyen secret d´exhaler la dose de despotisme que la nature mit au fond de son
coeur, il se rejettera pour l´exercer sur les objets qui l´entourent, il
troublera le gouvernement » Ibid, p. 218.
En effet, ce despostisme autorisera la violence, car c´est une loi
de la nature. Une des preuves en sera la différence de constitution physique
entre les deux sexes. Les femmes sont censées satisfaire toutes les fantaisies
de l´homme. Sade essaie, en vain, de rétablir la balance en assurant leur
droit de se livrer aux plaisirs, à la luxure : « ... absolument
dégagées de tous les liens de l´hymen, de tous les faux préjugés de la
pudeur... » p. 225.
L´inceste sera le bienvenu dans la nouvelle république puisqu´il rattache les liens.
L´adultère et la prostitution recommandés et finalement, la sodomie et le viol
protégés par les lois.
Si le nouveau système anéantit les préjugés, on peut néanmoins se demander
pourquoi il utilise le mot « écarts » pour désigner des actions
tels l´inceste, l´adultère et la sodomie.
Là Philippe Roger nous explique en parlant du libertin
sadien : « Son plaisir a besoin de l´écart. Il voudrait bien que le
crime en fût vraiment un ». Et plus tard il ajoute : « Au
libertin donc de faire, pour son grand plaisir, sa propre police du monde. A
lui de faire des lois, pour avoir enfin quelque chose à déranger ; à
lui de fixer, puisque tout coule ; à lui d´imposer
pour controvenir » ( La
philosophie dans le boudoir, p. 128). Les concepts jusqu´alors tenus comme
indiscutables tels l´amour, la justice, le vrai ne sont pas seulement remis en
cause mais montrés sous l´angle de la démystification.
C´est peut-être pour cela que le titre de philosophe lui a été réfusé :
« (...) c´est manière d´avouer que toute philosophie n´est pas bonne à
dire ». Ibid,p. 221.
Sade est avant tout un libertin, mais pourquoi pas un philosophe-libertin ?
Et sa visée sera anti-nature si l´on se place au point de vue de Rousseau
et Diderot qui ont, eux, croyé à la vertu
comme base d´une société juste.
Mais du point de vue de Sade, le libertinage est conforme à la nature.
Sade s´oppose à la vision de l´homme comme bon à priori.
La théorie sadienne rend, donc, compte de l´égoïsme et des instincts destructeurs de l´homme. Elle veut le démasquer. Faire disparaître en lui son vernis social. Enfin, on peut ajouter que le système qu´il profère est avant tout pessimiste, et obscurantiste, finalement il vise peut-être à renverser le mythe du Progrès, ce qui fait de lui un isolé dans son siècle.
La théorie sadienne rend, donc, compte de l´égoïsme et des instincts destructeurs de l´homme. Elle veut le démasquer. Faire disparaître en lui son vernis social. Enfin, on peut ajouter que le système qu´il profère est avant tout pessimiste, et obscurantiste, finalement il vise peut-être à renverser le mythe du Progrès, ce qui fait de lui un isolé dans son siècle.
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