domingo, 11 de janeiro de 2015

Quelle est la visée du libertinage sadien?

(suite et fin de l´article du 24 décembre 2014)         

Le philosophe préconisera un nouveau système politique, la république, qui remplacera la monarchie. Puisque traditionnellement la religion se charge de prescrire les normes de conduite, elle devra être 
la première cible des Français. Leur tâche  étant de mettre à terre  un à un tous les dogmes 
jusqu´alors  respectés ; tous les enseignements absurdes, mensongers et sophistiques des prêtres devront disparaître sans même laisser de traces : « ...déracinez tout à fait une plante dont les effets sont  contagieux », p. 189.
         Car si l´on admet la moindre tolérance à l´égard de la religion (Sade se réfère à tous les cultes déistes, mais surtout au catholicisme, religion officielle de l´Ancien Régime) non seulement l´on risque de la voir renaître avec encore plus de force, mais ses défenseurs lutteront aussi contre les idéaux de la république. D´où la nécessité de se délivrer à la fois du « sceptre » et de « l´encensoir ».  Une fois , donc, supprimés tous les préjugés, il restera aux Français la mission de changer radicalement les moeurs. Il ne s´agit  pas seulement d´une réforme, mais  d´une vraie révolution : « vous qui avez la faux à la main, portez le dernier coup à l´arbre de la superstition ».    
         Aucune loi ne devrait  nous contraindre de jouir d´une liberté sans bornes. Il n´y aura plus de place  à l´obéissance aveugle. Si  l´on doit se soumettre à une loi, ce sera celle  de la nature. Ainsi, tous nos besoins, nos désirs les plus cachés se manifesteront.
         Il va de soi que dans un système semblable, tout ce qui auparavant était considéré comme délit sera jugé autrement.
         La calomnie, le vol, l´impureté et le meurtre seront non seulement  admis mais ne devront plus inquiéter le législateur, car celui-ci « ne doit jamais étudier l´effet  du délit qui ne frappe qu´individuellement ; c´est  son effet en masse qu´il doit examiner. » Sade  fait l´apologie  de ces actes en se servant des exemples de l´Antiquité gréco-romaine. On remaquera, par ailleurs, que Sade insiste sur l´aspect rationnel de ces affirmations, conçues sous  le « flambleau  de la philosophie ». Lycurgue et Sénèque sont souvent appelés pour appuyer ses arguments. En imaginant les éventuelles critiques à son système, il essaye de les réfuter par avance afin de nous  convaincre de sa légimité. Nous verrons que l´exposition de certaines idées peut  nous paraître convainquante. Prenons par exemple son opinion sur le vol : « j´oserai demander si le vol dont l´effet est d´égaliser les richesses, est un grand mal dans un gouvernement dont le but est l´égalité ». Cette assertion nous frappe, certes, par sa hardiesse, pourtant, si l´on veut vraiment rendre la société moins inégale suivant les principes républicains les plus élémentaires ne serait-il  pas juste  de mettre en échec la question de la propriété ?   
      L´idéal sadien, ce sont des citoyens autosuffisants, libres de donner libre cours à toutes leurs  passions : « ...tous les hommes sont nés libres, tous  sont égaux en droit » Ibid., p. 225. À cet égard, sa théorie présente des contradictions car  on y verra une impasse en ce qui concerne la liberté pour tous  et l´égalité.
         La volonté d´un homme se heurtera toujours à celle d´un autre. On verra une lutte entre  des faibles et des forts se dérouler sur  tous les plans y compris le plan sexuel. Les délits dits moraux tels la prostitution, l´adultère, l´inceste, le viol et la sodomie n´auront plus le statut de crime.
         Dans ce domaine le despotisme de l´homme atteint son comble. Rappelons  des réflexions clés du pamphlet lu par Dolmancé : « Toutes les fois que vous ne donnerez pas à l´homme le moyen secret d´exhaler la dose de despotisme que la nature mit au fond de son coeur, il se rejettera pour l´exercer sur les objets qui l´entourent, il troublera le gouvernement » Ibid, p. 218.
         En effet, ce despostisme autorisera la violence, car  c´est  une loi de la nature. Une des preuves en sera la différence de constitution physique entre les deux sexes. Les femmes sont censées satisfaire toutes les fantaisies de l´homme. Sade  essaie, en vain, de rétablir la balance en assurant leur droit de se livrer aux plaisirs, à la luxure : « ... absolument dégagées de tous les liens de l´hymen, de tous les faux préjugés de la pudeur... » p. 225.
         L´inceste sera le bienvenu dans la nouvelle république puisqu´il rattache les liens. L´adultère et la prostitution recommandés et finalement, la sodomie et le viol protégés par les lois.
         Si le nouveau système anéantit les préjugés, on peut néanmoins se demander pourquoi il utilise le mot « écarts » pour désigner des actions tels  l´inceste, l´adultère et la sodomie.
         Là Philippe Roger  nous explique en parlant  du libertin sadien : « Son plaisir a besoin de l´écart. Il voudrait bien que le crime en fût vraiment un ». Et plus tard il ajoute : «  Au libertin donc de faire, pour son grand plaisir, sa propre police du monde. A lui de faire des lois, pour avoir enfin quelque chose à déranger ; à lui  de fixer, puisque  tout coule ; à lui  d´imposer pour  controvenir »  ( La philosophie dans le boudoir, p. 128). Les concepts jusqu´alors tenus comme indiscutables tels l´amour, la justice, le vrai ne sont pas seulement remis en cause mais montrés sous l´angle de la démystification.
         C´est peut-être pour cela que le titre de philosophe lui a été réfusé : « (...) c´est manière d´avouer que toute philosophie n´est pas bonne à dire ». Ibid,p. 221.
         Sade est avant tout un libertin, mais pourquoi pas un philosophe-libertin ?
         Et sa visée sera anti-nature si l´on se place  au point de vue de Rousseau et Diderot qui ont, eux,  croyé à la vertu comme base d´une société juste.

         Mais  du point de vue de Sade, le libertinage est conforme à la nature. Sade s´oppose à la vision de l´homme  comme bon à priori. 
         La théorie sadienne rend, donc, compte de l´égoïsme et des instincts destructeurs de l´homme. Elle veut  le démasquer. Faire disparaître en lui son vernis social. Enfin, on peut ajouter que le système qu´il profère est avant tout pessimiste, et  obscurantiste, finalement il vise peut-être à renverser le mythe du Progrès, ce qui fait de lui un isolé dans son siècle.

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